Grand Lyon : fausses factures et soupçon de "corruption" en accusation au tribunal

En 2012, la brigade financière de la PJ a mis la main sur plusieurs fausses factures établies, entre 2007 et 2009, par trois sociétés bien connues dans le monde du BTP. Un détournement de fonds public au préjudice du Grand Lyon avait été bâti sur les instructions d’un fonctionnaire de la communauté urbaine de Lyon.

Quand la Métropole de Lyon décide de faire le ménage dans les magouilles de ses agents, elle le fait sans tambours, ni trompettes. Dans la plus grande discrétion.

 

C’est en effet dans une relative indifférence que la 7e chambre correctionnelle de la cour d’appel de Lyon avait à juger ce mercredi l’affaire des fausses factures de la direction de la voirie au sein de la communauté urbaine de Lyon.

 

Et c’est d’ailleurs dans la même indifférence qu’en novembre 2013 et juin 2014, le tribunal correctionnel de Lyon avait déjà condamné les sociétés Jean Lefebvre (filiale d’Eurovia), Sacer sud-est (filiale de Bouygues) et la société lyonnaise Beylat TP ainsi que quatre de leurs cadres pour faux, usage de faux, complicité de détournement de fonds publics ou recel de détournement de fonds publics.

 

Des condamnations allant de deux à quatre mois de prison avec sursis avaient été prononcées par le tribunal et des peines d’amende de 40 000 euros furent alors infligées aux  sociétés.

 

Quasi-mort économique pour les sociétés

De telles condamnations signent une quasi-mort économique pour ces sociétés. Depuis l’ordonnance du 6 juin 2005 qui retranscrit en droit français une directive européenne, les entreprises condamnées, notamment pour faux, depuis moins de cinq ans n’ont plus le droit de candidater à un marché public.

 

Pour la société Beylat TP, qui réalise près de 80 % de son chiffre d’affaires avec les marchés publics, cela signifie "la mort de la société" comme l’a plaidé son avocat, Me Alain Jakubowicz. C’est pourquoi les sociétés Beylat TP et Sacer sud-est ont fait appel du jugement de première instance. L’entreprise Jean Lefebvre a quant à elle disparu depuis.

 

Les fausses factures ? Des "avances de précaution" en vue de travaux futurs

Mais les entreprises n’ont fait que répondre aux demandes d’un fonctionnaire du Grand Lyon, Claude T., à l’origine de ce  système de fausses facturations. En première instance, il a écopé de la peine la plus lourde : 16 mois de prison avec sursis et 15 000 euros d’amende pour détournement de fonds public, complicité de faux et usage de faux. Il a également une interdiction définitive d’exercer un emploi public. Il n’avait alors pas fait appel de la décision.

 

Claude T. a fait toute sa carrière à la direction de la voirie du Grand Lyon. Selon ses explications, s’il a proposé aux entreprises d’établir des fausses factures, c’était pour s’éviter des tracas administratifs, notamment le système des avenants qui permettent de modifier le marché public en cas de dépassement imprévu des prix établis dans le contrat initial. "La procédure d’avenant au marché n’était pas très bien vue [car il fallait] s’expliquer auprès des élus pour avoir des rallonges et l’avenant aurait prouvé que je n’étais pas capable, je ne voulais pas être mal perçu" a défendu Claude T.

 

"C’est un angoissé qui s’est surinvesti dans son travail" a abondé son avocat, Me Thomas Fourrey : "Il assume ce qu’il a fait. Mais il l’explique car il y a des jeunes qui sont arrivés et le métier devenait de plus en plus technique, et il le dit, il n’y arrivait plus".

 

Du coup, pour éviter les avenants, Claude T. va établir des "cagnottes" de trésorerie au sein des entreprises qu’il a appelées "avances de précaution". Le procédé permettait aux sociétés de faire face à des travaux imprévus. Une sorte d’avance sur travaux en dehors de tout cadre légal. Mais il va plus loin que ces simples "précautions".


Rupture de traçabilité des fonds

Il a en effet demandé à la société Jean Lefebvre de payer deux opérations fictives pour plus de 112 000 euros facturées par la société Beylat TP qui n’a jamais réalisé les travaux et n’avait pas de marchés de voirie supervisés par Claude T.

 

Les interrogatoires de la PJ ont permis de mettre au jour que Beylat TP souhaitait se voir confier des commandes par le Grand Lyon mais la société devait passer par Jean Lefebvre. "Pour moi, c’était la garantie que j’allais avoir des travaux confiés par Claude T. Quand je le rencontrais, il me rassurait en me disant qu’il allait avoir des travaux à me faire faire et qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter" s’est confié aux enquêteurs le directeur de Beylat TP.

 

"Corruption"

Mais pour le ministère public, ce stratagème permettait en réalité de "une rupture de traçabilité des fonds. Beylat TP va émettre deux fausses factures à Jean Lefebvre qui a elle-même produit trois fausses factures au Grand Lyon" a expliqué Thierry Ricard, l’avocat général. En effet, les sommes versées par la communauté urbaine à Jean Lefebvre ont en partie "servi à régler deux factures présentées par la société Beylat" selon les motivations du jugement de première instance.

 

Mais l’avocat général n’hésite pas à aller plus loin. Alors que l’enquête n’a pas permis de prouver un enrichissement personnel de Claude T., Thierry Ricard a fait la liste de son patrimoine : une maison, un appartement, des comptes épargne ou boursier. "Le tout pour quasi un demi-million d’euros. Tout cela avec un salaire de 2500 euros net par mois. On ne m’enlèvera pas de l’idée que tout cela provient de rétrocessions. C’est une logique de gratification. Nous sommes dans un processus de corruption très net entre un fonctionnaire et des sociétés. Voilà la réalité de ce dossier. C’est en tout cas la position du ministère public" a appuyé l’avocat général, levant d’un coup le voile hypocrite qui entoure ce dossier.

 

Frustration

Thierry Ricard a même dit sa frustration que les investigations ne soient pas allées plus loin regrettant le choix fait par le parquet de Lyon d’avoir conservé la procédure sous en enquête préliminaire sans ouverture d’une information judiciaire confiée à un juge d’instruction.

 

D’autant plus que l’enquête du parquet se confond avec celle du Grand Lyon. Car la communauté urbaine a porté plainte auprès du parquet le 6 mars 2012 après un audit interne qui a mis en évidence des anomalies dans trois marchés conduits par les sociétés Sacer et Jean Lefebvre pour un montant total de facturation de 325 000 euros.

 

L’enquête du parquet s’est ainsi limitée au seul périmètre de l’audit interne de la communauté urbaine de Lyon. Et laisse finalement comme un goût d’inachevé au parquet général. Délibéré fixé le 11 mai prochain.

 

Slim Mazni