L’affaire Le Bec éclabousse les aménageurs du quartier de la Confluence

L’affaire Le Bec éclabousse les aménageurs du quartier de la Confluence

L’affaire du restaurant du chef étoilé Nicolas Le Bec, subitement envolé en 2012 à Shanghai en laissant une montagne de dettes, refait surface. Le tribunal de commerce de Lyon vient de rendre responsable deux sociétés publiques, la Caisse des dépôts et consignations et Voies navigables de France (VNF)  ainsi que le groupe immobilier

Le jugement du tribunal de commerce de Lyon est tout frais. Il date du 24 février dernier et ses conséquences sont dévastatrices. Après plus de deux ans de procédure de liquidation judiciaire visant le restaurant de Nicolas Le Bec dans le quartier de la Confluence, la justice vient de décider d’étendre cette liquidation à la société qui est propriétaire des murs du restaurant et bailleur du restaurant : la SCI les Salins.

 

Son capital est partagé par la Caisse des dépôts et consignations (25%), Voies Navigables de France (45%) ainsi que par le patron du groupe Cardinal, Jean-Christophe Larose (30%) dont la société est sous le coup d'une enquête pénale pour des commissions occultes versées en Suisse (lire par ailleurs). Tous trois sont les principaux aménageurs du quartier des Docks à la Confluence.

 

En clair, la SCI des Salins, structure parapublique au vu de la composition de son capital, est placée en liquidation judiciaire après la décision du tribunal de commerce de Lyon. Les avocats de la SCI ont néanmoins décidé de faire appel de la décision qui n’est donc pas définitive. Mais si l’appel est suspensif, on peut néanmoins s’interroger sur les raisons qui ont conduit le tribunal sur la voie d’une telle sévérité.

 

 

"Flux financiers anormaux"

En se fondant sur "des flux financiers anormaux" entre la SCI des Salins et le restaurant de Nicolas Le Bec, la justice confirme un vieux soupçon. Les associés que sont VNF, la Caisse des dépôts et consignations et le groupe Cardinal auraient donc soutenu financièrement de manière abusive le restaurant du chef breton tout en sachant que sa situation était compromise dans le but de conserver un produit d’appel pour le quartier de la Confluence avec Le Bec dans le rôle de la tête d’affiche.

 

Ils ont en effet accordé une franchise de loyers maintes fois reconduites dans le temps pour atteindre plus de 550 000 euros. "Si en soi la franchise de loyer est parfaitement légale, en l’espèce elle devient irrégulière compte tenu de sa reconduction dans le temps alors que la situation financière [de La Rue Le bec] s’aggravait et doit donc être qualifiée de relation financière anormale" estime le tribunal dans sa décision.

 

 

La bénédiction de la Caisse d’Epargne

Par ailleurs, avec la bénédiction de la Caisse d’Epargne Rhône-Alpes - dont la dirigeante, Stéphanie Paix, a été entendue en 2014 par la brigade financière de la PJ sur la gestion de cette affaire par Olivier klein, son prédécesseur -  les associés de la SCI les Salins ont réorganisé les dettes bancaires du restaurant de Nicolas Le Bec et ont artificiellement injecté de la trésorerie dans sa société en rachetant des actifs pour 1,5 million d’euros en février 2011.

 

La Caisse d’Epargne Rhône-Alpes avait en effet accepté le remboursement différé du prêt principal de la société, accordé un nouveau financement de 950 000 euros, octroyé une ligne de crédit de 400 000 euros afin d’ouvrir un salon gastronomique à l’étage du restaurant et d’un prêt d’1,5 million d’euros pour permettre à la SCI les Salins de racheter en partie des actifs du restaurant. Ce n’est pas tout. La banque s’est encore portée caution en faveur de la société de Nicolas Le Bec en cas de défaillance auprès de la SCI les Salins.

 

Le tribunal de commerce juge en effet que le rachat d’actif "correspond plus à une position de financeur que de bailleur avec pour objectif de générer pour [le restaurant] une entrée de trésorerie permettant la mise en place de sa restructuration financière. […]Le rachat d’actif n’avait que pour seul objectif de générer de la trésorerie pour faciliter l’aménagement de la dette bancaire [du restaurant de Nicolas Le Bec] ce qui caractérise une immixtion de la SCI les Salins dans la gestion de son locataire. Que cette opération de rachat eu pour conséquence d’imbriquer les patrimoines [du restaurant de Nicolas Le Bec] et de la SCI les Salins".

 

C’est précisément sur la base de cette confusion de patrimoine que la justice a ordonné l’extension de la liquidation judiciaire de la société de Nicolas Le Bec à la SCI les Salins.


 

En connaissance de cause et sur ordre de qui ?

La banque et les associés de la SCI ont bien agi en connaissance de cause puisque quelques mois avant la réorganisation des dettes bancaires du restaurant, le commissaire aux comptes avait engagé une procédure d’alerte sur la continuité compromise de l’exploitation du restaurant.

 

En quittant Lyon du jour au lendemain en laissant 4,3 millions de dettes, créanciers et fournisseurs sur le carreau, Nicolas Le Bec avait pointé la responsabilité du maire de Lyon, Gérard Collomb, dans ses déboires financiers. La Ville a-t-elle en effet exigé des bailleurs le maintien à tout prix de l’activité du restaurant afin de conserver l’attractivité d’un quartier qui à l’époque émergeait à peine de terre ? C’est la question que tout le monde se pose.

 

Ce qui est certain, c’est que le maire de Lyon s’est personnellement impliqué dans la gestion des Salins lorsque le cuisinier lyonnais Christian Têtedoie avait repris l’établissement à la suite de Nicolas Le Bec, souhaitant le transformer en cabaret. Gérard Collomb avait en effet pris les dispositions pour que le projet initial de Têtedoie ne se fasse pas.

 

 

Enquête pénale pour abus de bien social

Enfin, une enquête pénale pour abus de bien social est toujours en cours. La justice cherche à comprendre le désastre financier qui a conduit à la fuite de Le Bec vers la Chine. Selon nos informations, la brigade financière s’intéresse à des factures de travaux de près de 300 000 euros réglés par le chef étoilé alors que c’est la SCI les Salins qui devaient en supporter la charge.

 

Me Nicolas Morelli, l’avocat de la SCI les Salins, conteste que ces travaux aient été supportés par Nicolas Le Bec. Il en fera la preuve lors du procès en appel. "Par respect et courtoisie vis-à-vis du tribunal, je réserve mes arguments à la cour. Mais ce que je peux dire c’est que nous avons interrogé deux experts judiciaires en immobilier agréés par les cours d’appel de Paris et de Lyon. Leurs rapports concluent tous deux à l’absence de liens financiers anormaux entre la SCI les Salins et la société de M. Le Bec", affirme l’avocat.

 

Slim Mazni