La mort du petit Amar avait suscité une immense émotion dans le pays, obligeant le ministre de l’Intérieur de l’époque, Brice Hortefeux, à se rendre dans le quartier de Mermoz (Lyon 8e), exigeant que l’enquête aboutisse à des résultats rapides.
Amar, 12 ans, mort de sept balles
Petit rappel des faits. Le 13 décembre 2009, un groupe de filles est importuné par des jeunes du quartier. L’une d’elle appelle son petit ami. Et c’est l’escalade pour laver cet affront. Tout l’après-midi de cette journée-là, des bandes de jeunes vont se battre en une série de trois expéditions punitives.
La dernière sera fatale. En fin d’après-midi, une Citroën s’engage dans le quartier avec à son bord au moins trois hommes armés d’un fusil à pompe et d’une kalachnikov. Une fusillade éclate. Le petit Amar Guellati, 12 ans, est atteint de sept balles. Il meurt sur le coup. Il était là au mauvais endroit, au mauvais moment.
Quatre jeunes ont comparu en appel devant les assises de la Loire. Trois d’entre eux ont écopé de peine allant de 15 ans pour meurtre et 5 à 8 ans pour complicité de meurtre. L’un des accusés a été acquitté.
Un drôle d’espion
Mais cet acquittement a été rendu possible par les éléments abracadabrantesques mis au jour lors des débats qui se sont déroulés à huis-clos mais dont nous avons pu reconstituer la teneur.
Selon nos informations, un témoin est venu affirmer qu’un fonctionnaire de police, membre des services de renseignement, aurait influencé l’enquête afin de faciliter la mise en cause de l’individu acquitté.
Pour satisfaire cette manipulation de l’enquête, ce fonctionnaire aurait ainsi organisé une réunion téléphonique entre plusieurs protagonistes du dossier et certains des mis en cause afin que ceux-ci citent explicitement le nom de l’individu acquitté. Il fallait ainsi seulement prononcer ce nom dans des conversations dont les participants savaient qu'elles étaient enregistrées par les enquêteurs.
Ce drôle d’espion, membre des RG d’après les dires du témoin, n’était pas en charge de l’enquête mais a, semble-t-il, été "invité" à y participer. Les fonctionnaires de police étaient à l’époque sous la pression d’un pouvoir politique qui exigeait des résultats rapides.
Les enquêteurs n’auraient donc pas été insensibles aux informations offertes par ce fonctionnaire de police dont le verdict de la cour d’assises de la Loire dit qu’il fait partie de l’entourage d’un mis en cause lors de la phase d’instruction.
Deux écoutes téléphoniques instrumentalisées ?
Le stratagème a en tout cas bien fonctionné puisque sur les 1195 écoutes téléphoniques qui ressortent dans le dossier, seules deux ont été retranscrites. Celles-là même qui ont, semble-t-il, été montées de tout pièce par ce mystérieux flic des Renseignements.
Le président de la cour d’assise, Gérard Dubois, ne s’est pas contenté de ces deux seules écoutes retranscrites. Il a, d’après nos renseignements, fait écouter les enregistrements téléphoniques de plusieurs conversations non retranscrites par les enquêteurs.
Il semble que le prénom de ce fameux policier des RG soit cité dans l’une de ces conversations et que certaines écoutes ont été montées de toute pièce dans le but unique de faire accuser un individu.
"Le témoignage [du témoin qui a déposé devant la cour d’assises de la Loire, ndlr.] et l’écoute à l’audience des plusieurs interceptions téléphoniques, enregistrées sur un support placé sous scellé et non retranscrites dans le dossier d’information [judiciaire, ndlr.], ont permis de se convaincre que la mise en cause de [la personne acquittée, ndlr] était le fruit d’une opération de désinformation montée par [ce mystérieux policier, membre de l’entourage d’un des mis en cause, ndlr.]", explique le verdict de la cour d’assises de la Loire dans ses motivations.
"C'est la fin d'un cauchemar" se satisfait Me Sylvain Cormier, l'avocat de l'individu acquitté. "Mais ce dossier reposait une manipulation inédite qui a été confirmé à l'audience" ajoute-t-il.
Impossible de commenter pour le parquet général
Le terme pudique de "désinformation" utilisé dans les motivations de la Cour visait ainsi le stratagème qui consistait à faire volontairement citer le nom de la personne acquitté dans des conversations téléphoniques. Conversations dont tout le monde savait qu’elles étaient enregistrées par les enquêteurs chargés des investigations sur la fusillade de Mermoz.
Interrogé, le parquet général s’en est tenu à une stricte observation du droit en expliquant que le procès s’étant tenu à huis clos, il convenait de respecter la non-publicité des débats.
En conséquence, le parquet général ne pouvait commenter les éléments que nous lui soumettions, mais sans insister pour les démentir. Tout juste nous concédait-on un dossier "pourri". Une enquête pourrait être ouverte.
Slim Mazni