À Albigny, le maire ne regarde pas trop à la dépense

Le maire a table ouverte dans les restaurants du coin.

La ville d’Albigny-sur-Saône est prospère, pourquoi se gêner ? Le maire ne manque pas de rappeler que sa commune affiche un excédent budgétaire. Pour 2015, il était de près de 251 000 euros, sur un budget global qui frise les deux millions. Pour une ville de 2 820 habitants. Alors, on ne regarde pas trop à la dépense.


Les frais de réception ont tendance à glisser sur la toile cirée. Ils étaient paraît-il de 30 000 euros par an avant 2014, ils se maintiennent aujourd’hui aux alentours de 16 000. C’est bien, déjà. Cela représente 0,8 % du budget municipal, six fois plus que celui de la ville de Lyon, rapporté au nombre d’habitants (environ 1 million pour 771 millions de budget, soit 0,13 %). Le maire de Givors s’est fait allumer pour moins que ça. Il est vrai qu’à Albigny, Jean-Paul Colin ne se fait pas payer des vêtements de cuir ou des casquettes de grand froid, peut-être la météo y est-elle plus clémente. Ou qu’on s’y réchauffe autrement.


Le lecteur du Grand Livre comptable sera surpris de trouver autant de notes de restaurant dans les comptes de la ville. Le maire semble avoir table ouverte à l’Auberge de Poleymieux, où les ardoises se multiplient, toutes essuyées par la municipalité. Avril-mai : 58 repas (141,50 euros), juin-juillet : 13 repas (439 euros), août-septembre : 41 repas (1182 euros). Tous les deux mois un relevé. Heureusement, le comptable est vraiment cool. Il laisse passer des factures qui ne portent pourtant aucune des mentions légales obligatoires : SIRET, RCS. On sait varier les plaisirs. Le restaurant La Table d’Albigny est également sollicité : 328 euros en juillet-août, 653 euros en novembre 2016. Par une pudeur qui l’honore, le restaurateur n’indique même pas le nombre de repas qu’il a servis.


On ne dédaigne pas non plus les endroits branchouilles comme Les Planches : 340 euros en juin-juillet. À cela s’ajoute des achats de denrées alimentaires et des vins fins (dont 60 bouteilles de champagne) au Cellier Neuvillois dont on s’étonne qu’elles n’aient pas été portées sur le budget Fêtes et Cérémonies. Des frais de traiteurs livrant des plateaux repas. Le fournisseur attitré de la mairie est Tante Yvonne, non pas l’épouse du général, très scrupuleuse à propos d’argent public, mais l’enseigne d’un ancien de Bocuse installé dans la région.

Au milieu de mille curiosités, on tombe sur cette facture émise le 21 novembre 2016 par… le centre hospitalier gériatrique du Mont d’Or, situé sur la commune, et dont le maire est président. Une somme de 1005,43 euros correspondant à une prestation 20 "repas" à 39 euros l’unité. Le centre gériatrique aurait-il développé en parallèle une activité de traiteur ?

Renseignement pris, il semble que non. Les seuls repas qui sortent des cuisines sont destinés aux résidents, il n’y a pas de distribution extérieure. Pourtant ce 2 juillet, c’est bien à la mairie qu’ont été livrés et servis les 20 repas : "Accueil Mairie". C’est aussi là qu’ils ont été facturés avec une erreur de TVA manifeste : le "forfait vins" ne peut pas être à 10 %, il est obligatoirement à 20 %. "C’était une réunion de travail", clame le maire, d’ailleurs tous ces rendez-vous sont des réunions de travail. Aucun doute qu’en consultant l’agenda de la mairie on trouvera pour chaque note de restaurant l’inscription d’une réunion de travail qui s’est inopinément prolongée jusqu’à l’heure du resto.

D’ailleurs beaucoup de factures portent des justifications un peu vagues "subdivision voirie et réseaux" ou "dossier juridique", sans qu’on ne sache jamais qui était là et pourquoi.
 


En continuant d’éplucher les dépenses, on tombe rapidement sur l’achat d’un fauteuil magistral qu’on ne saurait qualifier de trône car il est ergonomique. Pour un montant de 2404 euros HT soit 2884,80, le siège de compétition en "cuir noir" et dos en résille Fiberflex, accoudoirs renforcés et assise réglable en profondeur, se propulse à l’aide de cinq roulettes "spécial parquet". C’est un beau fauteuil. Heureusement, le commerçant a consenti une ristourne de 424 euros, sans contrepartie aucune, bien sûr. "J’ai mal au dos", explique le maire. Du coup on s’étonne qu’il se soit adressé à une boutique luxueuse de meuble de bureau comme Jean Palais plutôt qu’à la Boutique du Dos, spécialiste des fauteuils ergonomiques, avec des prix entre 400 et 2 300 euros.

 

Enfin, tel le roi Arthur, Jean-Paul Colin s’est fait confectionner une table non pas ronde mais ovale, avec oreilles rabattables et rallonges rétractables, en épicéa et sur mesure. Montant 2122,80 euros. Au moins les convives ne sont pas à l’étroit quand ils font livrer des repas. Rien que de très banal, la mairie a les moyens. Avec ses excédents budgétaires elle ne risque pas de se retrouver dans le rouge.


Sauf que jusqu’en 2014, le maire faisait ce qu’il voulait, dans les communes de moins de 3000 habitants, il n’y avait pas d’opposition. C’est fini maintenant. Début avril, pour la première fois trois opposants ont voté contre le budget et deux ont refusé de participer au vote. Pire, voilà qu’ils demandent des comptes et épluchent les frais. Il ne manquerait plus qu’ils trouvent des choses critiquables ! Le temps se couvre on dirait.